Nous allons parler du Bordeaux et la Bourgogne. Deux vignobles dotés de siècles de talent incontestable pour classer, définir et contrôler leur production comme personne d’autre au monde, et d’où proviennent, sans surprise, certains des meilleurs vins de la planète.
Si vous voulez savoir de quel côté de la carte de France placer vos préférences, voici un petit guide à utiliser et à savourer pour comprendre la raison de cette “guerre” historique. Une introduction aux deux régions viticoles les plus populaires de France.
Sol, climat et emplacement
La principale différence entre ces deux régions françaises est due à un facteur très simple : l’emplacement. La Bourgogne se caractérise par le fait qu’elle est entourée de collines et de villages médiévaux.
Enclavé, juste à l’est du centre de la France. Une région historiquement pauvre jusqu’aux années 1980, lorsque l’obsession du monde pour les vins fins a commencé, avec un climat continental d’hivers froids et d’étés assez courts. En raison de l’inconstance des conditions, les millésimes peuvent varier considérablement.
La personnalité des vins de Bourgogne est également déterminée par ses sols. Il y a 200 millions d’années, une vaste mer tropicale recouvrait cette région, si bien que de nombreux vignobles de Bourgogne sont situés sur du calcaire. Sous le vignoble se trouvent d’anciens récifs coralliens décomposés et des fossiles de créatures marines qui nourrissent les vignes et donnent un caractère distinctif aux vins blancs produits à Chablis et dans la Côte de Beaune. Les propriétés viticoles de cette région sont appelées domaines, et les critères de sélection des meilleurs vignobles de Bourgogne, qui reçoivent les nobles classifications de Premier ou Grand Cru, tiennent compte de la composition exacte du sol de chaque parcelle et de son orientation.
Bordeaux, en revanche, est une ville portuaire sophistiquée aux impressionnants bâtiments néoclassiques dont le succès a été favorisé par un accès direct à l’océan Atlantique et la visite des Britanniques, consommateurs voraces des vins de la région depuis l’époque médiévale.
La proximité de l’Atlantique et la présence de la Garonne et de la Dordogne, qui se jettent dans le large estuaire de la Gironde, contribuent à modérer les températures et à protéger les vignes des excès de chaleur ou de froid. Le revers de la médaille est que les niveaux d’humidité sont élevés, ce qui expose les raisins à des risques de pourriture et de maladie, et que les conditions climatiques varient considérablement d’une année à l’autre.
Mais cette humidité a également offert à Bordeaux un cadeau unique : les délicieux vins doux de Sauternes, qui sont produits à partir de raisins atteints d’un type de champignon connu sous le nom de pourriture noble. Un bijou pour les palais exigeants.
L’histoire
Une autre raison de la rivalité entre la Bourgogne et Bordeaux réside dans son caractère historique. A Bordeaux, les systèmes de classification sont basés sur le statut de la propriété. C’est-à-dire sur sa qualité et non sur le terroir. Ainsi, en théorie, une catégorie supérieure pourrait acheter les terres de son voisin et assembler des vins médiocres provenant de parcelles inférieures sans que les autorités ne sourcillent.
En pratique, les grands domaines sont rigoureux dans leurs contrôles de qualité et ne terniraient jamais leur réputation en falsifiant leurs grands vins. En outre, le classement de 1855 et le système des châteaux, que nous expliquerons plus loin, ont fourni un point de référence utile et relativement facile à assimiler pour les consommateurs du monde entier. C’est le triomphe de Bordeaux, sa capacité inégalée à commercialiser ses vins et à se faire comprendre.
En revanche, la Bourgogne doit sa structure et sa hiérarchie à la foi catholique. Il n’y a pas de spécialistes du marketing ou de publicistes qui dirigent le spectacle ici. Il y a plusieurs siècles, les moines cisterciens, très impliqués dans la culture du raisin et la production de vin pour leurs ordres religieux, ont commencé à délimiter les terroirs et les sous-régions de la Bourgogne en fonction de leur qualité et de leur caractère. Un point de référence qui a continué à être pris en compte même après que les terres ont été transférées en gros à la propriété privée pendant la Révolution française.
La philosophie
Toutes ces différences constituent le cœur et l’âme de la Bourgogne et du Bordeaux. Bien qu’avec des milliers de vignerons et de viticulteurs, il soit difficile de généraliser, en règle générale, la Bourgogne a une personnalité plus bohème, rebelle et terreuse, tandis que Bordeaux rayonne d’élégance, de charme du vieux monde et de passion pour les grands plaisirs de la vie.
Bordeaux compte environ 100 000 ha de vignobles, 57 appellations et quelque 13 000 châteaux. Les vins gravitent ici autour d’un ancien système de classification qui remonte à 1855 et classe les vins en cinq crus. Le meilleur sera classé Premier Cru, le second Second Cru, et ainsi de suite jusqu’au Cinquième Cru. Rien ou presque n’a changé au cours des 170 dernières années.
Le vignoble est divisé en rive gauche et rive droite de l’estuaire de la Gironde, qui englobe à son tour des appellations plus petites. De part et d’autre, les grands domaines sont traditionnellement concentrés autour d’un beau château ou d’une belle demeure. Comme le célèbre Château Margaux ou Haut-Brion.
Ces domaines produisent souvent du vin à partir de leurs propres raisins et peuvent compléter cette production en achetant des raisins lorsque leurs propres vignobles ne produisent pas assez pour répondre à la demande de leurs fidèles acheteurs. Bien sûr, il existe aussi des négociants ou des marchands qui achètent de grandes quantités de raisins et produisent souvent des vins génériques à des prix plus bas.
En Bourgogne, cependant, en raison des lois sur l’héritage qui donnent des droits égaux à tous les enfants d’une famille, les vignobles ont des schémas de propriété incroyablement complexes. C’est une région très difficile à expliquer. Dans certains cas, même les rangées individuelles d’un vignoble peuvent appartenir à des personnes différentes. Comme si cela n’était pas assez compliqué, la région de Bourgogne est divisée en plus d’une centaine d’appellations qui peuvent se limiter à des villages ou même à des vignobles individuels.
La complexité de déterminer qui possède quoi, et les petites quantités de raisins de Bourgogne, font que les vins élaborés par des négociants qui achètent des raisins à plusieurs producteurs sont plus courants qu’à Bordeaux. En outre, les propriétaires de vignobles peuvent adhérer à des coopératives qui leur permettent de traiter leurs raisins en même temps que ceux de leurs voisins.
Le prix
Certains experts affirment que Bordeaux est plus “accessible” que la Bourgogne. Cela signifie que le premier produit environ cinq fois plus de vin que le second, de sorte qu’il y a plus d’options d’achat dans les sections inférieure et moyenne du marché et, par conséquent, plus de chances de faire une bonne affaire que dans la Côte d’Or de la Bourgogne.
Même le meilleur des meilleurs vins du Médoc bordelais est plus abordable que les vins rouges équivalents de la Côte de Nuits en Bourgogne. Sans compter que la Bourgogne ne produit que quelques milliers de bouteilles de ses meilleurs vins, alors que des domaines comme le Château Latour à Bordeaux peuvent produire plus de 300 000 bouteilles par an de leurs meilleurs vins.
Raisins et mélanges
C’est une autre différence majeure. Bordeaux revendique des assemblages polis et justes de cabernet-merlot, tandis que la Bourgogne défend le délicat mais sublime monocépage du pinot noir ou du chardonnay.
Les Bourguignons aiment à dire que les viticulteurs bordelais “assemblent le vin, mais ils ne le font pas”. Ce à quoi les Bordelais répondent que l’on fait exprès de produire peu de vin en Bourgogne, “pour justifier leurs prix élevés”.
Mais au-delà des rivalités entre voisins, il y a beaucoup à dire. Les Bourguignons considèrent comme un quasi-sacrilège la pratique bordelaise consistant à assembler des raisins issus de terroirs différents au sein d’une même appellation. Château Margaux, par exemple, cultive le cabernet sauvignon et le merlot à différents endroits de la sous-région, dans le but d’exploiter le meilleur potentiel de chaque site.
De même, la grande majorité des vins blancs produits à Bordeaux sont un assemblage de sauvignon blanc, de sémillon et parfois de muscadelle.
Bordeaux représente la mixture, le mélange, l’art de l’assemblage. Il s’agit principalement de cabernet sauvignon et de merlot (mais aussi de malbec, de cabernet franc et de petit verdot). La Bourgogne est un terroir mono-cépage, la région du pinot noir pour les rouges et du chardonnay pour les blancs.
Le style du vin et de la bouteille
À Bordeaux, les domaines du Médoc et des Graves, sur la rive gauche de l’estuaire de la Gironde, sont secs, longilignes et dominés par le Cabernet Sauvignon, tandis que ceux élaborés sur la rive droite, à Saint-Émilion et Pomerol, entre les deux fleuves qui se jettent dans la Gironde, sont plus fruités et dominés par le Merlot.
En Bourgogne, il existe des zones idéales pour les vins blancs et d’autres plus adaptées aux vins rouges. Chablis, par exemple, est une terre de blancs frais avec de l’acidité et des accents minéraux. Ou Côte de Beaune, où le chardonnay acquiert des nuances équilibrées et complexes. La Côte de Nuits est le pays des rouges de pinot noir, où l’on trouve certains des vins les plus recherchés et les plus convoités au monde, comme la Romanée Conti.
Bien qu’il soit très difficile de généraliser dans le verre avec tant de nuances, on pourrait dire que les rouges de Bordeaux sont puissants et complexes, qui ont besoin de vieillir pour mieux s’exprimer et adoucir leur forte teneur en tanins, ce qu’ils font très bien.
Les bourgognes, en revanche, jouent dès le départ la finesse, l’élégance, les arômes de fruits rouges et même une couche de couleur rouge à rubis plus discrète. Les vins de Bordeaux reflètent la passion de leurs vignerons et l’image d’un terroir riche, élégant et unique. À Bordeaux, on s’y connaît en marketing. Mais attention, ils ne sont ni meilleurs ni pires.
Fait curieux, même la forme des bouteilles dans les deux régions est différente et emblématique. La bouteille aux épaules hautes et à angle droit est de Bordeaux ou bordelaise, et celle dont les épaules tombent en forme de cœur est de Bourgogne ou bourguignonne.